Peur de la page blanche et de son cortège d’émotions. Serait ce la fuite à moi-même que je m’accorde en tournant le dos au clavier ? Je sens bien que ça tourniquotte là haut ! Que les mots se bousculent. Ils partent en vrac. Ils sont attachés les un aux autres en grappes. Ils tapent à la porte, ils me harcèlent mais ne veulent rien dire… Ils m’assaillent parfois en troupeaux et ne parlent pas. Je n’arrive pas à comprendre la langue dans laquelle ils s’expriment. La structure, la grammaire leur sont visiblement étrangères. Ils éclatent comme des bulles de savons sans laisser de trace. Je sens bien qu’ils ont des choses à me raconter… Je sais qu’ils voudraient bien me conter mon histoire, m’expliquer quelques idées qu’ils ont. Je ne comprends même pas le lexique qu’ils emploient pour essayer d’arriver jusqu’à moi. Dans un élan de non-bravoure mon cœur a décidé de couper le crédit du décodeur. Tout est brouillé.
A chaque pas important, c’est la même histoire… Tout s’emballe, rien n’est clair. Plus le brouillard se fait et plus je sens que quelque chose d’important se prépare. Je sais que plus tout est confus, que plus je plonge dans un puits sans fond plus j’approche d’une réponse.
Pourtant c’est plus fort que moi. Ca doit être très humain, dès lors qu’on perd pied on cherche plus fort la prise de contrôle. Pourtant je sais bien qu’en la matière c’est absolument et résolument inutile ! Rien à faire, je me déteste dans ces périodes là… Je suis incapable de prendre une quelconque décision cohérente, incapable de comprendre quoi que ce soit. Tous mes dictionnaires sont en cendres. Aucune définition, aucun chant lexical ne me parle. J’ai beau creuser, j’ai beau écouter les échos des bonnes âmes… Je n’entends rien. Tout me parvient comme si mes tympans sont dans du coton. Rien n’entre, rien ne sort. J’avance comme un automate. Les gestes du quotidien ne me demandent pas trop d’efforts. Ils se contentent de rythmer la journée. Ils me rassurent. Ne demandent pas de réflexion. Ils me laissent juste une place dans la réalité. Je sais que mon esprit est occupé ailleurs.
C’est le point zéro, c’est celui où il faut accepter de « lâcher prise ». Oui mais voilà… C’est humain, cela sous entend perte de contrôle… Lâcher le garde fou. C’est un reflexe, face au précipice on s’accroche au parapet, c’est ainsi que nous sommes faits et dans certaines circonstances nous serions bien fou de ne pas le faire !!!
Il y a des moments où tout nous échappe, tout file entre nos doigts. Plus nous nous accrochons à nos repères plus ils deviennent un filet d’eau entre nos doigts. Aux tournants de nos vies, il y a souvent ce moment de flottement intense. On voudrait lâcher le vieux pour laisser place au nouveau, mais le confort de l’ancien, du connu, aussi pire soit il, nous semble être mieux que l’inconnu. L’inconnu, celui dont on ne connaît rien. Celui qui nous demandera de fonctionner sur d’autres terrains, celui qui nous confrontera surement à d’autre part de nous même, celui qui nous fera nous dévoiler un peu plus, celui qui nous poussera vers de nouveaux défis à soi. Cet inconnu qui nous fait frémir d’envie et fuir de peur. Et si on se décevait ? Et si nous n’étions pas à la hauteur ? Et si l’inconnu était moins bien qu’aujourd’hui ? Pourtant la vie ne nous pousse que vers ce que nous sommes en mesure de supporter. La vie nous porte au dépassement. Nous pousse vers la découverte de soi. Aussi difficile soit il, ce nouveau n’a qu’un but, qu’un horizon : qui sommes nous ? Avancer, se découvrir soi, lever le voile sur nos ombres, entrer dans la Lumière s’un soi toujours plus exploré. Peu importe qui l’on a autour de soi, peu importe où nous sommes. La seule et unique personne avec qui nous iront jusqu’au bout de l’inconnu c’est : soi.
Alors quand les mots s’affolent pour ne pas sortir, je me dis que l’inconnu est devant. Que je suis en train de passer un cap important vers la découverte de qui je suis. J’essaie de laisser aux mots le temps de se mettre en place pour m’exprimer mes maux. Je pose un pied sur le seuil de l’inconnu et j’attends que la porte s’entrouvre pour la pousser. Je prends une grande respiration… Je ferme les yeux… et … mon pied franchis le seuil…